Carnet de bord

Une route et du désert, bienvenue au Kazakhstan

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La Mer Caspienne, c’est loin de la France, c’est aussi une frontière autant naturelle que symbolique.

Aujourd’hui et comme d’habitude, je me réveille plusieurs fois dans la nuit. Cette fois-ci je regarde l’heure : 04:55 am. C’est l’heure du lever de soleil.

Les Français dans ma cabine dorment à poing fermé. Allez, je vais regarder ce spectacle sur le pont du bateau. Il y a du vent, l’air est frais, le bateau navigue sur une mer d’huile. Très peu de secousses sur une mer fermée, qui pourrait être aussi l’un des plus grands lacs salés du monde.

Les premières lueurs du soleil dessinent des formes dans le ciel, et je me rends compte que l’on n’est pas du tout au milieu de la mer. En regardant, sur maps.me on vient à peine de quitter les côtes Azerbaïdjanaises. On est tout de même assez loin pour ne plus les apercevoir.

Enfin, nous sommes encore dans les eaux Azerbaïdjanaises, il y a un signe qui ne fait pas de doute : nous sommes au milieu de nombreuses plateformes pétrolières, le ciel est orange désormais. C’est irréel.
Comment tient cet édifice au milieu de rien, comme ça ? C’est fou de voir à quel point l’homme est intelligent et tenace pour inventer des systèmes qui lui permettent de perpétuer une pollution maximum et de renier son propre suicide. Ces machines sont là pour pomper le maximum de pétrole car cette mer en regorge, mais en laissant leur empreinte… Je regarde la mer et là, je suis observateur du spectacle le plus horrifiant qui puisse être…
Nous voguons sur une mer recouverte d’une pellicule d’essence. C’est comme lorsqu’il pleut sur nos routes, on peut apercevoir ces tâches d’essence violette et très glissantes. En ce moment même notre bateau vogue donc sur une flaque immense d’essence, c’est désolant.

Paradoxalement, j’assiste à l’un de mes premiers levers de soleil de ce voyage, et quel spectacle ! L’orange du soleil et les plateformes au loin donnent un air apocalyptique fascinant.

Enfin, le soleil prenant de la hauteur, je pars me recoucher et c’est à 7 heures du matin que je me réveille avec mes camarades de cabine.
L’ambiance dans le bateau est particulière, une espèce de colo, on a récupéré du confort à nouveau, on peut se laver, il y a  des toilettes. C’est loin d’être le grand luxe ni le grand confort, mais cela fait du bien au moral de chacun d’entre nous. On est au milieu d’une mer avec des camionneurs venus d’Europe et d’autres voyageurs. Le ticket inclus 3 repas par jour. Tout est top, nous discutons, lisons, prenons l’air, faisons la sieste, travaillons. Bref, au milieu de nulle part à se détendre.

Nous rencontrons un homme originaire de Och qui va chercher des voitures en Géorgie et qui les ramène au Kirghizistan avec qui nous discutons de ce qui nous attend, et ce n’est pas du tout rassurant…
Mauvais état de la route, mauvais carburant, chaleur folle. ça fait peur, mais c’est excitant, ce bateau confirme mon sentiment. Je me sens désormais en voyage avec des voyageurs qui parlent le même langage que moi.
Là où mon voyage peut paraître exceptionnel de l’extérieur, il est une norme dans ce bateau ! Je me sens renaitre, j’ai retrouvé mon aquarium.

Après 30 heures de bateau nous arrivons aux portes du Kazakhstan, il est alors 00h, ça y est je pense alors naïvement que c’est la fin. Il ne reste plus que les douanes à passer et c’est direction dodo dans un hôtel dans cette ville nommée Aktau (à prononcé Akta-o). Nous attendons près d’une heure dans ce bateau à l’arrêt où rien dehors ne semble se tramer véritablement. Puis, on nous remet des papiers. On nous fait descendre en face du bateau avec nos papiers de véhicule, passeport et les papiers qu’ils viennent de nous fournir. On doit là attendre une navette, composée de seulement 8 sièges alors qu’on est une bonne soixantaine. Ce n’est que le début d’une longue, très longue attente…

Après être arrivé et avoir passé le « passeport control », je fais demi-tour vers le bateau pour aller chercher ma moto et aller au contrôle des bagages, et, encore une fois, j’ai soigneusement mis mon drone dans mes affaires bien sales et malodorantes, histoire de bien rebuter les militaires.
La fouille commence, tout se passe bien, je dois faire signer le papier que l’on m’a donné au tout début qui confirme que la fouille a été faite. Sauf que le militaire s’en va précipitamment checker un camion sur ordre de son supérieur sans signer mon papier. Je me dis qu’il va vite revenir, mais je ne le reverrais jamais.

20 minutes plus tard je vais voir ce fameux supérieur à qui j’explique la situation alors qu’il ne parle pas un mot d’Anglais. Il me sourit, tourne autour de la moto, s’installe dessus, me fait comprendre qu’il veut l’allumer.
Je l’allume et il me fait comprendre en langage des signes qu’il veut faire un tour et qu’il signera ensuite le papier. Je prends les clés, j’éteins la moto et je lui dis textuellement en Français : «  Va te faire foutre mon pote » puis je lui dis « Niet » (non en Russe). Il descend, me sourit, rigole et dit à un de ses sbires, « Ok tu fouilles chaque recoin de ses bagages, tu étales tout sur le sol ». Il mime clairement l’étalage en pointant mes bagages.
Je suis quelqu’un d’assez calme en général mais après autant d’heures d’attente depuis le port en Azerbaïdjan je n’avais plus de patience. Et clairement je l’engueule en me rapprochant de lui en lui disant : « Niet, you sign now ». J’y crois peu, mais là j’en ai marre qu’il me prenne pour un crétin. Après 30 secondes à lui répéter de signer et lui filer mon stylo il se met à rire et signe en me disant « Ok ok hahaha you go ».

Bon ça c’est fait, j’attends Carlos mon pote espagnol, qui finit de se faire inspecter et nous partons ensemble vers la déclaration de la moto et de l’assurance. Ce qui nous prendra 5 heures au final à tout réaliser, à payer diverses taxes. C’était fou, long et fatiguant. Heureusement, nous les motards, nous sommes passés en premier. Les voitures du Mongolian Rallye auront patienté encore plus longtemps, certains d’entre eux vont en sortir à 10h du matin…

Une anecdote croustillante qui s’est passée juste après notre départ : au moment de faire l’assurance, le prédestiné à cette tâche n’avait pas prévu assez de papiers pour tout le monde, vu que celui-ci est particulier.
Ils ont mis 1 heure à apporter ces fameux documents. Une fois le papier ramené, la moitié du staff sur place a pris sa pause et est revenue 1 heure plus tard ! Résultat ? Ceux qui attendaient pour leur assurance ont dû patienter 2 heures. L’assurance étant la toute première étape à réaliser pour passer aux suivantes…

De mémoire voici les étapes à suivre :

  • Contrôle du passeport,
  • Fouille des bagages,
  • Paiement à l’entrée du port d’Aktau,
  • Déclaration d’importation temporaire des véhicules,
  • Tamponnage de certains papiers à donner aux militaires qui ouvrent la barrière (cela prouve qu’on est en règle sur tous les points). Ce même mec qui tamponne tout, demande un bakchich à mettre dans notre passeport. On a bien sûr refusé et fait passer le mot à tous les autres qui attendaient de ne pas payer ce salopard,
  • Vérification des papiers tamponnés par le militaire chargé d’ouvrir la barrière.

Une fois que nous avons passé tous ces contrôles avec Carlos, nous étions tellement euphoriques sur les motos ! Je me rappelle avoir chanté allègrement. La fatigue nous a vite rattrapés, d’autant que notre périple n’était clairement pas fini. Il fallait trouver un hôtel, ce qui pendant 1 heure s’est révélé être le parcours du combattant, chacun d’entre eux était plein ! Comme tonton Bernard lors du mariage de tata Nicole. Mais après 1 heure, nous trouvons notre bonheur et une fois nos affaires installées dans un dortoir vide nous nous écrasons dans le sommeil…

Le lendemain, je me réveille à 14h et je me mets à faire les formalités pour le visa Ouzbek. Par chance il vient d’être mis en place 15 jours auparavant, le site est encore en version bêta, je vais mettre la journée entière pour simplement uploader une photo… Une fois chose faite j’attends le traitement de mon dossier qui peut durer jusqu’à 3 jours.

Carlos me quitte entre-temps, il est pris par le temps et doit être en Mongolie début septembre, mais il veut passer par d’autres endroits avant. Il va devoir tout survoler et faire beaucoup de kilomètres. C’est ainsi, certains veulent en faire beaucoup dans un laps de temps si petit qu’ils roulent à l’excès. C’est leur choix, je comprends tout à fait. Mais je sais que je ne suis pas adapté à ce genre de voyage. J’aime prendre mon temps. Peut-être que mon animal totem est le paresseux ou la tortue.

Deux jours plus tard je reçois mon sésame.

Je me prépare immédiatement pour le lendemain, je veux attaquer le désert Ouzbek, je suis très excité à l’idée d’affronter des régions inhospitalières. Je sais que le vent y est fort, que la chaleur y dépasse les 40° facilement, que les routes sont une horreur absolue, mais je sais que c’est ce que je suis venu chercher. Après une bonne nuit de sommeil, je me dirige vers la frontière Ouzbek. J’ai 500 kilomètres à faire depuis Aktau, dont les 80 derniers qui sont du sable.
Je pars donc à 9h et je découvre une région encore jamais visitée, une de plus. L’immensité a pris le dessus, les paysages ne sont que désert.

Il n’y a plus d’arbres, ils sont remplacés par quelques chameaux ici et là. La terre est rouge et orange. Le vent est plutôt fort. La route en revanche est excellente. Elle me permet de comprendre que je n’ai pas intérêt à avoir de problèmes majeurs ici. Ce n’est pas le désert que l’on s’imagine avec dunes de sable mais vraiment une sorte de Far-West à la Lucky Luke au Kazakhstan. Aride, vaste, rouge. Le paysage défile, toujours le même. 7 heures plus tard, j’arrive à Beïneou, dernière ville avant l’Ouzbékistan, avant toutes les contraintes décrites plus haut. Je fais mon plein d’essence, je fais un stock dans mon bidon d’essence pour me donner un peu de marge.

Allez, c’est l’heure de prendre la route de l’extrême, une route sableuse de 80 bornes. Mais un sable assez étrange, très très très fin, très volatile. Cette route est empruntée par des centaines de camions par heure. Et là, ce sont des nuages de poussière qui viennent frapper mon visage et mes vêtements. C’est fou, je suis au milieu de nulle part sur une piste apocalyptique. Et puis, je me rends compte que ces 80 km ne vont pas se faire en deux heures. Il faut en compter plutôt trois. J’avance prudemment, je n’ai pas l’habitude de ce genre de terrain et je ne veux pas tomber.

Soudain au loin je vois deux motos rouges, garées sur le côté. Je m’approche. Ce sont les Tchèques. Les deux Tchèques que j’ai rencontré sur le port d’embarquement ! Euphorie, je les serre dans mes bras, ils ont fait le même itinéraire que moi, mais sur deux jours. On discute et puis on décide de finir la journée ensemble, direction la frontière Uzbek, réputée compliquée…

1h30 plus tard, nous arrivons donc à la frontière Kazakah/Uzbeks.
La frontière est blindée, encore une fois à moto nous sommes privilégiés et passons devant tous les autres véhicules. On ne va pas se gêner !
Au contrôle des passeports, il y a un mouvement de foule, tout le monde pousse tout le monde, ça crie, il fait chaud, les douaniers sont dans leurs boîtes et sur leurs portables à ne rien faire. Puis un cri fort et grave arrive, menaçant, c’est un officiel, il fait reculer tout le monde. J’essaie de ne pas bouger car mon guichet n’est pas le même que celui de cette foule qui est Uzbek. Il crie, crie encore, me voit et me dit d’une voix normale, claire et sympathique : « Tourist ? », « Yes ! » , « Ok, comme here, wait ». Je m’exécute, j’extrais mes deux amis de la foule pour me rejoindre, nous passons, en nous faufilant encore dans cette foule.

Direction l’Ouzbékistan, les piétons passent par un accès différent des voitures et motos.
Lorsque nous passons, je vois le passage piéton qui est aussi dans un mouvement de foule, les gens poussent comme des fous, des femmes crient, les douaniers restent de marbre, laissent passer des gens au compte-goutte. En tant que moto, j’ai la chance de ne pas avoir à subir cette peine. Il s’avère que la frontière est regardante sur les photos de ma caméra mais rien de plus.
Nous sortons enfin, il est environ 22h30. Après plus de deux heures passées aux douanes je suis officiellement dans le pays du grand Tamerlan, et cette étape là va s’avérer compliquée. Belle mais dure…

Tout ça, ce sera dans le prochain épisode.

Enzo.

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